35 Dommage collatéral

14 avril 2011

Vogel et Beaudoin se jetèrent un coup d’œil consterné. Cette femme venait de perdre un enfant et ils avaient fait une gaffe impossible à rattraper. Ils bafouillèrent des excuses mais Consuelo releva la tête brutalement les joues ruisselantes de larmes.
“C’est elle qui l’a tué. Elle et ses manies. Elle m’a fait venir à son bureau. Il faut que je nettoie à l’automne et au printemps parce qu’elle n’a pas confiance dans les femmes de ménage du journal. Il faut que je désinfecte son siège, son téléphone, toutes ses affaires et même les cabinets. Elle a des produits pour les hôpitaux et je dois tout laver avec. Même les armoires avec les photos, même l’intérieur des tiroirs, même le dessus des placards.”
Elle s’assit sur le tabouret le plus proche et continua entre le chagrin et la rage :

“J’attendais le bébé. Elle m’a obligée à grimper sur un fauteuil qui tourne, avec des roulettes dessous. Elle disait : “Allons Consuelo, ne faites pas d’histoires”. Elle disait toujours “si j’étais pas malade, si j’avais pas mal à ma jambe, à mes yeux ou à mon cœur, je le ferais”. Mais elle a toujours une maladie et elle ne fait jamais rien. La petite dame blonde, Ginette, disait que c’est pas prudent. Pour qu’elle se mette pas à hurler comme toujours, je suis montée. J’avais peur pour le bébé et j’allais doucement. Madame criait “Mais Consuelo ! Vous caressez cette armoire. Je vous dis de la frotter.” Puis elle disait à la dame blonde “On dirait que c’est le premier bébé qui va naître ! “ Que je ne voulais rien faire et qu’elle allait être malade à cause des petites bêtes dans les tapis. Alors je me suis appuyée à l’armoire, le fauteuil est parti et je suis tombée. Elle a pas fait venir les docteurs. Juste une infirmière du journal parce que je faisais des histoires. J’ai déjà eu un enfant. Pas elle. Je sais très bien ce qui se passait. L’infirmière a appelé le docteur mais c’était fini pour le bébé. Madame m’a reprise chez elle après l’hôpital. Monsieur m’a dit de jamais parler de l’accident parce que Madame est malade. Mais je porte le deuil. Pas elle. Elle a voulu me donner un pull bleu avec des perles “Comme ça, vous serez belle, Consuelo”. Moi, je ne veux pas être belle. Je veux pleurer mon enfant. Je veux qu’elle sache que je n’oublie pas. Je suis contente qu’elle soit morte aussi.”

Le torrent de larmes et de mots s’arrêta comme il avait commencé. Elle se releva et reprit son chiffon, soudain gênée d’avoir osé s’exprimer devant des inconnus, policiers qui plus est.
“Où étiez-vous mercredi soir, Consuelo ?”

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