32 La reine de la Roche-sur-Yon

8 avril 2011

Vogel s’enquit doucement :
“Et alors ?”
“Rien. On m’en faisait. Je crois qu’elle s’amusait beaucoup à m’habiller comme elle. Pour montrer combien j’étais pataude à côté d’elle. Provinciale. Un jour, elle m’a déguisée avec la création hideuse d’une Slave folle dont la fille faisait des bijoux. C’était des morceaux de velours frappé, des bouts de dentelles avec des paillettes, des perles de jais... J’avais l’air d’une hippie de retour de Katmandou et elle m’a amenée au journal comme ça. Toutes les filles ont deviné d’où cela venait. Elles étaient mortes de rire !”

“Vous n’étiez pas obligée d’accepter si c’était si pénible...”
“C’était bien le moins qu’elle me fasse offrir des trucs pour que je ferme les yeux sur ses saletés. Et quand je rentrais à la Roche-sur-Yon, j’étonnais tout le monde avec mes tenues ! J’ai eu un incroyable collier de cinq rangs en améthystes presque brutes. Il coûtait une vraie petite fortune.”

Vogel commençait à comprendre le système. L’avantage de la corruption, c’est qu’il reste toujours des miettes pour les petits charognards. Alice détestait Lucile mais se laissait humilier à Paris pour éblouir le tout-La-Roche-sur-Yon. Ginette Brons avait été humiliée jour après jour mais était restée en place pour les brimborions qu’elle grappillait et qui faisait d’elle une privilégiée. Lucile avait la place Vendôme, Alice, les créatrices de second ordre et Ginette, la bimbeloterie fantaisie.

“Qui aurait pu vouloir tuer Lucile Delarue à votre avis ?”
“Ma mère si elle n’était déjà morte ! Si vous saviez ce qu’elle a enduré de cette femme. Toujours dans le même journal que notre père. Toujours là avec son parfum, ses taxis en double file, ses bijoux. A la fin, ma mère n’osait plus sortir de peur de la croiser tant Lucile avait pris de l’assurance. Elle donnait l’impression d’attendre que la place se libère. Ma mère a fini par se replier sur elle-même et mourir, comme ça. Nous n’avons compris quel enfer avait été sa vie qu’à ce moment-là. Notre père avait réussi à nous convaincre de la normalité de cette histoire : c’était facile, nous étions si jeunes quand elle a commencé. Je savais que nous trahissions notre mère mais Lucile était si mielleuse et mon père nous en disait tant de bien. Elle arrivait avec ses cheveux jaunes en bandeaux, comme une princesse. Elle roucoulait, nous couvrait de cadeaux. Nous aurions dû lui cracher à la figure...”

Alice se mit alors à pleurer, non pas sur la mort de Lucile mais sur sa lâcheté de petite fille qui n’avait su défendre sa mère, petite fille qu’elle était demeurée jusqu’au remariage de son père. Apparemment, aucun des enfants Lannois n’avaient supporté la présence de Lucile dans l’appartement familial.

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