EXPOS

La passion dogon

8 avril 2011

Le musée du quai Branly présente jusqu’au 24 juillet une exposition magistrale sur les Dogons. Les pièces viennent du monde entier même si l’origine de l’engouement pour ce peuple et son art est typiquement français. Genèse d’une passion.

Tout a commencé par une expédition, une vraie, en train, en bateau, en voiture, à dos de mulet et de chameau, de Dakar à Djibouti à travers l’Afrique sahélienne. Nous sommes en 1931 et l’état français finance Marcel Griaule, ancien pilote de la 1ère Guerre Mondiale, et une petite équipe dont Michel Leiris [1] pour rechercher des civilisations authentiquement africaines ainsi que des objets, dans l’idée d’un futur musée.

Au début, les pays qu’ils traversent sont islamisés. Ils y admirent donc ces magnifiques mosquées de style soudanais du Mali, de Djenné et de Mopti, mais pas de statue. On leur parle alors des «  Habé  » [2] qui vivent retranchés sur la falaise de Bandiagara. Ils ont fui les musulmans et ont gardé leurs traditions et leur art. Pour Griaule, c’est le choc qui change le cours de son existence. Enthousiasmé, il passera le reste de sa vie à revenir chez les Dogons, les étudier, écrire des livres dont les fameux Dieu d’eau [3] et Le Renard pâle [4], faire une thèse, être le premier professeur d’ethnologie de la Sorbonne, donner des cours sur la philosophie dogon

Certains lui ont reproché de ne s’être pas bien informé, de n’avoir écouté que deux vieillards, d’être trop spiritualiste. Une chose est sûre, il exerce une grande influence sur ses élèves, dont la célèbre Germaine Dieterlen, femme du monde devenu ethnologue, et Jean Rouch qui va filmer tout ce que l’on connaît sur les Dogons, en particulier le Sigi, cérémonie avec tous les masques qui a lieu tous les soixante ans.

Il faut comprendre aujourd’hui que c’est à Marcel Griaule, à ses élèves et sa fille, Genevève Calame-Griaule, ethnologue et linguiste, que l’on doit cette petite révolution que fut la découverte des Dogons. Ils rapportent des statues, des masques, des portes de greniers et toutes sortes d’objets pour ce qui devient le Musée de l’Homme. Ils récoltent de véritables trésors pour les collections nationales. Les marchands d’art ne sont venus que bien plus tard. En fait, ces civilisations étaient assez unanimement méprisées par rapport à l’empire du Mali, à ses lettrés et leurs précieux manuscrits, à quelques centaines de kilomètres de là. Marcel Griaule a rendu leur dignité aux civilisations pré-islamiques et les a réhabilitées aux yeux du monde entier. Aujourd’hui les collectionneurs de New-York, de Suisse et d’ailleurs achètent à prix d’or des pièces comme celles que présente le musée du quai Branly jusqu’au 24 juillet.

Parallèlement au succès de l’art dogon, le livre majeur de Marcel Griaule Dieu d’eau et les films de Jean Rouch fascinèrent les foules qui vinrent par cars entiers. Mais les Dogons surent apparemment faire la part des choses avec beaucoup de finesse, sacrifiant un morceau de leur falaise et inventant des fêtes pour les touristes, sans rien abandonner d’essentiel. En 2002, Genevève Calame-Griaule racontait qu’ils s’étaient mis à organiser des sorties de masques en dehors de toute cérémonie réelle et qu’ils inventaient de faux mythes, plus ou moins inspirés des livres de son père « pour faire plaisir ».
La question des touristes ne se posent plus depuis les enlèvements de Français au Niger : la région est en zone orange, c’est-à-dire que l’ambassade de France au Mali interdit de s’y rendre, sauf pour des raisons professionnelles.

L’exposition du musée du quai Branly est d’une incroyable richesse : 330 pièces en tout, dont 130 statues dans la première salle, dans des cubes de verre pour qu’on puisse les voir sous tous les angles. La seconde avec les masques est absolument magnifique. Le soir du vernissage, Genevève Calame-Griaule y admirait des objets que ses amis avaient peut-être rapportés. Personne ne se souciait d’elle et elle rêvait de cette falaise où son père avait été enterré rituellement…

Sur le même sujet, voir Dialogue avec les Dogons : http://www.lemondecommeilva.com/dialogue-avec-les-dogons,149

[1écrivain, poète surréaliste qui écrira L’Afrique Fantôme

[2"païens" en langue peul, puisque les Dogons sont, en effet, animistes

[3Fayard, 1997

[4actuellement indisponible

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