EXPOS

Dialogue avec les Dogons

6 avril 2011


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Devant la vitre coulissante (pas la "grille", Jean Nouvel joue la transparence) qui ferme le jardin du musée du quai Branly, les invités arrivent et essaient d’attendrir les vigiles qui ont la consigne de n’ouvrir qu’à 18h 30. C’est écrit sur l’invitation mais chacun chuchote son excellence et sa rareté dans les conduits auditifs de garçons blasés qui doivent entendre tous les soirs de vernissage « Mais je suis un ami personnel de Frédéric Mitterrand ! ». Ils sourient gentiment et ne bougent pas.

L’avantage du quai Branly, c’est que personne n’y passe jamais par hasard, on sait donc que nous allons retrouver tout ce beau monde formidablement cultivé à l’intérieur.

Un couple fait sensation : lui, une soixantaine ventripotente à catogan de « nouveau beauf » à la Cabu. Santiags en autruche turquoise, costume en agneau plongé lavande et capeline de reine d’Angleterre violette. Elle, comme chez beaucoup d’êtres vivants (enfin, plus ou moins !), surtout les oiseaux et les Anglais, est la petite poule faisane terne, la canette maronnasse à côté du colvert vert. Elle a un chapeau ridicule aussi, du même modiste qui coiffe la cour britannique, mais orange. Les coquins passent avec une fausse décontraction devant la vitre, ce qui est suspect car il n’y a vraiment rien à voir dans le coin. Ils seront jetés hors de ce jardin d’Eden pelé signé Gilles Clément, devant nos yeux ravis dix minutes plus tard : ils croyaient que les vigiles ne connaissaient pas l’existence de la porte rue de l’Université !

Eux sont de loin les plus excentriques, des collectionneurs peut-être qui veulent faire savoir qu’ils sont outrageusement riches. Des femmes en noir, des intellos obligatoirement, fument nerveusement sur le trottoir, comme Al Pacino quand sa vie en dépend. Elles écrasent rageusement de leur bottines SM les mégots en pensant au salaud qui a eu les Palmes académiques avant elles. On voit aussi beaucoup de belles chevelures argentées. Masculines, bien sûr, les femmes sont toutes aile de corbeau ou rousses. Voir rouges. Quelques hommes ont opté pour la couleur Ronald Reagan et Gerhard Schroeder, mais, à la culture, on a peut-être plus peur du ridicule que dans la mode. Ils ont donc plutôt choisi le peigne soufflant pour magnifique crinière léonine à reflets bleu de méthyle. Le fantôme de Druon a encore frappé. L’un arbore un petit blouson de cuir souple bleu ciel, l’autre travaille le look Chapier, avec lunettes et veste brique. Une sorte de clown attend sur un banc, sabots Birkenstock aux pieds, pantalon en tartan à gros carreaux rouge, blanc et vert, et veste en tweed avec petit chapeau à plumets. Ce genre de manifestations regroupent également les derniers communistes, un peu esseulés mais les mâchoires serrées en rêvant du grand soir.

Vers 18h 25, chacun s’est retrouvé, gens de la Culture avec gens de la Culture, africanistes avec africanistes. Ce soir, on célèbre les Dogons et chacun s’attache à souligner ses liens profonds avec ce peuple. Aaah les portes de grenier ! Aaaah, les masques !

Une tendance lourde de l’élégance africaniste est le caban, taillé dans un tissu ethnique : « c’est un bogolan marchandé à un artisan de Ouaga », « un kentè échangé contre une Swatch », « un petit couturier du Mercato d’Addis me l’a fait en quelques heures… » Non, plus personne ne dit Ouagadougou et Addis-Abeba ! Nous avons aussi le panama informe offert par un péon reconnaissant, la toque tchouktche, les mitaines en alpaga de l’altiplano et plein d’autres souvenirs émouvants. Ceux qui n’ont jamais quitté la rive gauche se contentent du chèche froissé kaki (9,99 € chez Kiabi), même si cela fait un peu réac, et/ou de la saharienne. Pour les femmes sédentaires, ce sera plutôt le bijou ou le manteau artistique : une sorte de cape qui rappelle vaguement Marguerite Yourcenar aux Monts Déserts, avec de grands motifs naïfs en feutrine appliquée, sapin, lama, fleurs et d’improbables broches pour essayer de fixer ensemble les différents pans, écharpes et capuches de la dite-cape, bijoux qui font regretter les parures de nouilles vernies de nos enfants !
Et comme on est entre purs esprits, pas le moindre Petit Lu à l’horizon, ni verre de Champomy.

Pour l’expo même et les Dogons, voir La passion dogon :
http://www.lemondecommeilva.com/la-passion-dogon,150

[1Affiche de l’exposition, représentant une figure hermaphrodite, Djennenké © musée du quai Branly, photo Hughes
Dubois. Statue acquise par l’État français grâce au mécénat de AXA, avec le soutien d’Hélène et Philippe Leloup. début du XX e

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