30 La belle-fille entre en scène

3 avril 2011

Marie Bouillot avait baissé les yeux à l’évocation des Greffulhe, prise d’une crainte sacrée devant tant d’aristocratie et Beaudoin eut des envies iconoclastes.

“Comment, avec une éducation pareille, a-t-elle pu vivre une liaison qui a duré des années avec un homme qui aurait pu être son père ? Comment a-t-elle supporté d’être imposée partout comme maitresse officielle d’un vieux monsieur ? Si j’ai bien compris, où il allait, il l’amenait dans ses bagages quelles qu’aient été son incompétence professionnelle et l’antipathie qu’elle suscitait. C’est étonnant pour une personne élevée dans le meilleur monde, non ?”
Marie le regarda d’un air offusqué.
“Vous avez écouté toutes les horreurs colportées par les jaloux ! Mais ça aussi, elle le savait et s’en moquait. Elle était au dessus de ça.”
“Mais pas au dessus des écoutes téléphoniques et des détectives privés,” lui asséna-t-il sans douceur superflue.
Marie se dressa d’un bond.
“Ceci est une histoire malheureuse et je trouve indigne de votre part de vous y arrêter.”
“Madame, vous pouvez imaginer que lorsqu’ un homme dont on retrouve la femme assassinée a une maitresse, il est difficile de ne pas s’y arrêter, même si cela vous parait indigne. Que saviez-vous de cette histoire ?”
“Rien si ce n’est qu’elle a beaucoup pleuré et que les autres ont beaucoup ri ! C’est un milieu bien cruel, croyez-moi. Même aujourd’hui qu’elle est morte, tout le monde se frotte les mains.”
Son nez recommençait à rougir, tout comme ses yeux. Elle ramassa ses affaires précipitamment, la seule que la mort de Lucile Delarue laissait orpheline. Beaudoin la vit sortir avec un soulagement intense et dévala les escaliers vers la rue encombrée comme un enfant débarrassé d’une corvée qui file retrouver ses copains au square le plus proche.

Dans son bureau du Quai des Orfèvres, Vogel attendait la fille de Louis Lannois. Toute cette histoire l’ennuyait prodigieusement car il lui semblait que chaque protagoniste de cette affaire se prenait pour une star, ou en était une, le doute était permis. Bien sûr, voir son nom imprimé sur des pages en quadrichromie devait changer votre rapport au monde laborieux qui ne faisait que vous lire. Lui-même n’avait qu’un respect relatif pour ces dieux de l’opinion qui cultivaient l’à-peu-près avec une rare décontraction.

De Louis Lannois, il ne savait pas grand-chose si ce n’est qu’il était le spécialiste de la IVe République. Il avait encore dans l’oreille le mot d’Alex : “il a fait son beurre dans le trafic des piastres”. D’après ce qu’il avait deviné du train de vie de l’académicien, ce n’était pas faux : un appartement immense avenue de Ségur, un manoir en Normandie sans compter le double appartement de Lucile rue Hautefeuille. Il avait appris que, depuis son mariage, elle avait racheté celui de sa mère, sur le même palier, puis elle avait envoyé la dite-mère dans une maison de retraite avant d’ouvrir une porte de communication et de faire des travaux assez somptueux. Il ne voyait pas comment, malgré un salaire brut de 28000F, elle avait pu s’offrir tout cela, donc Lannois avait contribué, donc les enfants Lannois devaient se sentir dépouillés en beauté par la marâtre.

Alice Macloux, née Lannois, arriva enfin. Elle avait hérité de son père la silhouette tassée et un visage sans aspérité mais déjà couperosé. Elle avait la cinquantaine comme on l’a en province, loin des rédactions tellement chic où les femmes de cinquante ans s’habillent et parlent comme des adolescentes. Vogel lui trouva un air de famille réconfortant bien que ses origines à lui se situent beaucoup plus à l’est.

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