28 Sortez les camisoles !

30 mars 2011

“Quand a eu lieu ce fameux séjour à l’”asile” ?” demanda-t-il en articulant soigneusement ce dernier mot qui avait un peu de mal à passer.
“Huit ou neuf ans.”
“Vous dites que Madame Delarue avait peur, mais pour qui ? Alex était dangereuse pour elle-même ou pour les autres ?”
Marie se plongea dans la contemplation des guenilles de luxe qui l’entouraient, cherchant la réponse qui ferait le plus de mal.
Elle hésitait encore quand Beaudoin lui reposa une question :
“Vous avez vu quoi et quand ? ”
“Quand Lucile a épousé M. Lannois, il y a eu une petite fête à la rubrique et Alex n’allait vraiment pas bien. Je me souviens qu’elle était très pâle et d’une maigreur effrayante.”


"Jusqu’ici, je ne vois pas en quoi elle était dangereuse...”
“Elle a expliqué à Lucile qu’elle faisait une psychanalyse, vous vous rendez compte ! Et elle a des enfants et un mari. Vous imaginez ça, vous ? Les pauvres..Je crois qu’elle se moque complètement de sa famille. ”
“Cela se manifestait comment au journal, cette "folie", en dehors de sa maigreur et de sa pâleur ?”
Marie cherchait l’inspiration désespérément.
“Par exemple, elle passait de l’abattement à l’insolence absolue. Quand elle s’est remise de cette crise, elle a retrouvé son ironie et ses plaisanteries de mauvais goût.”
“Vous êtes en train de m’expliquer que la crise a cessé et qu’elle est redevenue elle-même ?”
“C’est cela !”
"Et comme vous la détestez, vous auriez préféré qu’elle reste déprimée. Mais elle n’a pas eu de crises en dents de scie. Elle n’est pas maniaco-dépressive, n’est-ce-pas ?”
Elle pinça les lèvres comme un avare ferme sa bourse :
“Je ne suis pas psychiatre. Et je comprends très bien qu’une femme aguichante a d’autres arguments que moi !”
Beaudoin réprima une envie brutale de la jeter hors du shopping, elle et ses insinuations, son air de fausse dévote et son odeur de pastilles à la violette.
“En dehors d’Alex que vous avez en horreur, que pensez-vous des autres journalistes ?”
“Vanessa Schmidt est une intrigante prête à coucher avec tout ce qui a de l’influence.”
“Un cas unique, d’après ce que j’ai compris,” commenta-t-il acidement.
“Je n’en sais rien mais Vanessa a trompé son mari avec le fils du directeur d’une rubrique où elle voulait être intégrée. Elle a été intégrée, croyez-moi ! Adeline Bertoud semble un grand herbivore à l’air parfaitement stupide mais c’est tout sauf une gentille. Ces deux-là sont d’une ambition inimaginable. Cela les obsédaient d’ avoir leur nom en gros avec le titre de “chef de rubrique”. Deux sottes absolues ! Elles n’avaient aucune chance d’y parvenir un jour,” glapit-elle.
“Sauf si Lucile s’en allait... d’une manière ou d’une autre".
“Mais il n’y avait aucune raison qu’elle le fasse volontairement. Elle ne serait jamais partie et jamais elle n’aurait été renvoyée. Jamais !”
“Et pourquoi ?”
“Louis Lannois a de bonnes relations avec M. Saunders.”
“J’ai entendu dire que Marie-Caroline elle-même souhaitait le départ de Madame Delarue...”
Marie éclata d’un petit rire bref et sans joie :
“Tout le monde le souhaitait : ils étaient tous jaloux et elle s’en moquait. Elle n’avait qu’un mot à dire, Louis Lannois allait voir Saunders et tout rentrait dans l’ordre. Elle faisait la pluie et le beau temps. Même Jeanne Riguidel dont la mission était de contrôler Lucile a été obligée de ramper. La grande Riguidel qui tutoyait Françoise Giroud n’osait la contrer. Cela la faisait mourir de rire. Elle me disait “Vous l’avez vue la professionnelle qui va m’apprendre mon métier et relooker ma rubrique ? Dans un mois, elle n’entrera plus dans mon bureau !”

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