23 Bruits de corruption

18 mars 2011

Il se passa ce jour-là quelque chose de curieux : comme si les directrices de boutique et les attachées de presse s’étaient données le mot, elles lui racontèrent toutes, sans exception, ce qu’elles avaient offert à Lucile pour Noël, pour la dernière parution, ou en prévision de la prochaine. Ce n’était jamais des parures de maharané mais quand on sait que la moindre chose coûte environ 800 euros, le tour de la place était rentable.

Alors Alex s’était souvenue combien elle avait toujours trouvé ridicule les bagues que Lucile enfilait à chaque doigt comme une idole païenne, les multitudes de bracelets et de chaines en or aux poignets, les broches et les colliers et elle avait compris que cette démarche tintinnabulante était le prix de la corruption.
Elle essaya d’expliquer cela à Beaudoin, aussi gênée que si c’était elle qui ressemblait à un arbre de Noël.
“Mais cela doit donner une très mauvaise réputation au journal si cela se sait.”
“Mais cela se sait. Tout le monde est au courant.”
“Et personne ne dit rien ?”
“Personne.”
“Comment expliquez-vous qu’elle n’ait pas été mise à la porte ?”
“Je ne l’explique pas. Tout le monde regarde ailleurs.”
“D’après ce que je sais, elle était détestée, elle était mauvaise journaliste et vous m’apprenez qu’elle était malhonnête. C’est beaucoup, non ?”
“On peut dire ça.”
“Et vous n’avez pas aucune explication ?”

Alex réfléchit et attaqua apparemment un autre sujet :
“La France est un pays latin, vous ne devez pas perdre cela de vue. Peut-être que chez vous, c’est comme chez Saunders, je n’en sais rien : il faut avoir un “patron” afin d’être intouchable. Je n’ai pas de patron mais toutes celles que vous avez rencontrées en ont. Sauf Claudine, la secrétaire, qui pourrait vous dire la même chose que moi mais ne doit pas oser de peur de perdre sa place.”
“Et vous ?”
“Je n’ai pas de place.”

Elle souriait placidement et Beaudoin se demanda comment elle pouvait être aussi calme sur ce sujet.
“Il parait que Lucile refusait de vous licencier.”
" Ah ! On vous a dit ça ! Les bonnes âmes... Et elles en concluent que je l’ai tuée de rage ou pour découvrir si elle avait une cervelle sous son brushing de nylon jaune. En fait, c’est la seule question que je me pose : y avait-il autre chose que du vent dans ce crâne imbécile ?”
Il eut du mal à ne pas éclater de rire malgré l’horrible image que cette question ressuscitait et remercia le Ciel que Vogel ne fut pas là.
“Voici comment vous exaspérez le commissaire !”
“Oui mais pas vous !” répliqua-t-elle en souriant.
Un signal “attention danger séduction” se mit à clignoter dans sa tête. Il reprit le cours de l’interrogatoire d’un ton sévère :
“Vous auriez pu la tuer.”
A nouveau le soleil se cacha et le regard s’assombrit. Elle lui lança d’un ton vaguement méprisant :
“Vous voulez mon emploi du temps ?”
Le repas était fini. Il sentit qu’elle en avait assez, qu’il était temps de la laisser à ses bulbes s’il voulait garder sa confiance et obtenir d’autres renseignements plus tard. Elle lui détailla ce qu’elle avait fait ce soir-là avec la froideur d’un employé de banque qui compte des billets avant de partir vers les quais.

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