SOCIETE

Les télégrammes de l’ambassadeur

29 janvier 2011


On a tous pu lire dans la presse la dernière dépêche de l’ambassadeur de France à Tunis, juste avant le départ de Ben Ali, démonstration assez cruelle de l’usure d’un système qui n’a pas évolué fondamentalement depuis la création de la diplomatie moderne au XVII e siècle.

En résumé, un ambassadeur permanent dans un pays a deux fonctions principales : celle de bien s’entendre avec le pays en question -son rappel précède traditionnellement les déclarations de guerre, comme en 1914- et celle d’observer le gouvernement de ce pays pour voir s’il ne devient pas hostile. Toutes ses observations restent secrètes grâce au système de la valise diplomatique et des correspondances chiffrées.
Inconvénient majeur : l’objectivité se dilue souvent dans les trop bonnes relations. La France, par exemple, s’est fait piéger en restant en trop bons termes avec ses anciennes colonies africaines au point de fermer les yeux sur beaucoup de choses et de se faire taxer de néocolonialisme complaisant.

Comme Jean-Jacques Rousseau

Ce système des dépêches, à l’origine écrites et chiffrées à la main comme le faisait J.J. Rousseau, secrétaire d’ambassade à Venise, s’est transformé au XIX e, en télégrammes chiffrés, les fameux "TD" [1] aux règles formelles contraignantes : la longueur standard est fixée à un recto-verso, "2/2" [2]–exceptionnellement les cas graves peuvent requérir un "4/4"-, écrits en lettres majuscules, avec résumé de trois lignes et commentaire d’un quart de page. L’exercice n’est d’ailleurs pas simple et les concours du Quai d’Orsay font la part part belle aux qualités rédactionnelles des candidats. C’est ainsi que l’on rencontre de très grands stylistes parmi eux, comme l’ambassadeur Parot, dont les romans policiers font un triomphe [3].

Aujourd’hui internet a bouleversé ces habitudes et les télégrammes commencent à circuler sur des systèmes d’intranet ultra-sécurisés, comme dans les ministères de la Défense. On peut écrire en Word avec du gras, des minuscules, des notes. La seule chose importante est que cela reste secret : les chiffreurs sont remplacés par des informaticiens chargés de garantir l’inviolabilité des codes d’accès. Mais le raz-de-marée Wikileaks vient de prouver que rien ne résiste à des gens décidés à renverser les murailles bureaucratiques au nom de la liberté d’information du citoyen.

La procrastination, clef de toute diplomatie

Le deuxième problème posé par ces TD est l’intérêt effectif de leur contenu. On assiste depuis la chute du mur de Berlin à une véritable crise de l’information classifiée : 90% de ce que l’on peut lire dans les notes des services de renseignements et dans les dépêches des ambassades sont de l’information « ouverte » . C’est ainsi que la dépêche d’un ambassadeur n’est ni plus à jour ni plus exacte que ce qui circule dans les médias.

Quant au "plus" des dépêches, le commentaire généralement réservé à l’ambassadeur, il suit la loi de la pus grande pente. A quoi sert ce conseil donné par Pierre Ménat, notre ambassadeur en Tunisie quelques heures avant le départ précipité de Ben Ali [4], qu’il faut attendre un peu et entretenir un dialogue exempt de critique publique. L’abus de Ferrero Rochers peut-il être tenu responsable de cette timidité ?
Rappelons qu’un ambassadeur a un très bon salaire et un train de vie magnifique grâce aux contribuables français…

Déjà Bill Clinton, lorsqu’il était président, disait qu’il préférait lire les journaux que les notes de services de renseignements. Avec Wikileaks, cette formule est plus vraie que jamais. On est passé à un monde d’informations ouvertes au grand dam des bureaucrates mais au bénéfice des citoyens. Et s’il faut bien sûr se méfier de ce qui circule sur le net et vérifier soigneusement, en 5 mn, le monde entier sait mieux ce qui se passe au Caire en se branchant sur Twitter ou Facebook que grâce aux « chancelleries » comme on appelle les ambassades dans les « milieux autorisés » !

[1télégramme diplomatique, cable aux Etats-Unis

[2deux sur deux

[3Les Enquêtes de Nicolas Le Floch, commissaire au Châtelet

[4Le Monde du 28 janvier, p.6

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