SANTE

Manuel de survie...

28 février 2016

Petit accident : un instant de distraction et je suis allongée sur des pavés (tiens ils n’ont pas tous été noyés dans le goudron ?) dans un couloir de bus, mon pied gauche en vrille, les os broyés, tordus comme un fagot de brindilles. La douleur est terrible, la vision est presque pire. Des spectateurs appellent les pompiers, en route pour La Pitié-Salpêtrière, aux urgences bien sûr.

Tout d’abord, on ne meurt pas d’un pied cassé, fut-il en vrille et en vrac, donc n’importe quel alcoolique qui invective le personnel médical et menace de vomir est prioritaire.

Douleur ? Quelle douleur ?

D’autre part, quand on demande “où situeriez-vous votre douleur entre 1 et 10 ? ” et que vous répondez “si l’accouchement et les dents sont à 10, là je suis à 7 avec des poussées à 8 ou 9”, on vous prend pour une petite joueuse et on vous laisse sur votre fauteuil roulant sans calmant. La prochaine fois, je hurle.
Donc rien pour supporter la douleur de 13h30 à 21h, sauf, en toute fin de journée, deux Doliprane 500 qui n’effaroucheraient pas le plus fugace mal de crâne. La bonne nouvelle c’est que “la douleur est prise en compte aux urgences”. Merci pour les autres.

Forget me not !

Autre leçon, ne pas se laisser piéger dans un box. Il y en a plein et le vôtre n’intéresse personne. On finit par m’apporter deux doses de Béthadine et une cuvette en me déclarant d’un air gourmand que l’on va m’opérer cette nuit et qu’il faut que je me prépare. J’ai mal et je ne peux poser le pied par terre ? On va me chercher un cachet, là, maintenant. Solitude de cette toilette bizarre sur un brancard au milieu d’une pièce où sont entreposés des dossiers, des bouteilles, des cageots, des chambres à air, des compresses, des bidons..
Deux heures plus tard, peinte en ocre jaune, toujours pas de cachet, plus personne ne passe devant ma porte. C’est l’heure tranquille où les employés rentrent chez eux : “Salut, Franck à demain !” “Bonsoir Julie, on se revoit jeudi ? - Non, c’est mon jour de repos". La guinguette ferme ses volets. Panique.

Cinoche

C’est alors que je choisis de faire une apparition spectrale : drapée dans les draps jaunes de l’APHP sur fond de liquette en papier marine, je rampe jusqu’à la porte et m’affale dans le couloir, accrochée à un tabouret à roulettes qui ne roule pas trop, à côté d’un clochard très énervé, allongé sur le sol. Bizarrement, le service qui somnole se réveille et mes fameux deux Doliprane se matérialisent. De peur que je ne recommence un truc idiot, on me roule au “bloc” sur un brancard avec des barrières.
Opération, réveil, mon pied est remis d’équerre et merci aux chirurgiens ! Je suis enfermée du genou aux orteils dans une énorme structure de papier mâché, plâtre et plastique, lourde comme une ancre, digne d’un musée d’art moderne.

La fille de Jabba le Hutt

Dernière leçon à retirer de cette expérience hospitalière : ne jamais se trouver dans la même chambre que la “star” du service sous peine d’être oubliée comme une vieille compresse. Je suis transférée, toujours avec le même air gourmand du personnel, en orthopédie. Une sorte de surclassement en business avec champagne, fruits frais et vidéo à la demande. Mon chariot entre en bout de couloir et je découvre un lit double ou triple, occupé par un corps, celui de la fille cachée de Jabba le Hutt [1] et de Madame Groseille [2]. Au delà de cette masse blême, bandées aux jambes et aux bras, j’aperçois un je-ne-sais-quoi de concupiscence : je suis le repas à l’ogresse, la mouchette pour l‘araignée géante. Elle veut que l’on replie le paravent entre les deux lits et j’ai alors un mouvement digne de Greta Garbo dans “La Dame aux Camélias” : Leave me alone !

Sécrétions et secrets

Par dessus cette partition très partielle, j’aurai droit à tous le détails sur ses diverses sécrétions corporelles qu’elle ne peut gérer puisque ses jambes ne la portent pas vu son poids et que ses deux humérus sont cassés : “c’est quand mes fils se sont battus, Vince voulait jeter Dylan par la fenêtre. Et je suis tombée dans l’escalier.” Et ça sécrète beaucoup et Madame Groseille-Le-Hutt sonne tout le temps avec une zapette spéciale “pas-de-bras-pas-de-chocolat” pour manchot. “J’ai le nez plein ! – Plein de quoi ?” A votre avis ? On va s’épargner la réponse qui dresse les poils des bras.

De Jabba à Vador

Mis à part les médecins, chirurgiens et autres qui savent que, sous ma botte bizarre, mon pied est une horreur, plus personne ne se soucie de moi. Je supplie que l’on me laisse dormir dans le couloir quand j’entends ma voisine ronfler. L’infirmière me jette un œil très froid et tourne les talons. En fait, elle avait raison parce que la fille de Jabba se transforme en Darth Vador la nuit. On lui met un masque contre l’apnée et ce n’est plus un bruit animal et irrégulier, juste un bruit de machine.
Bon le tout n’a duré que 48 h, j’ai été très bien soignée et je remercie tous et chacun. Surtout ceux qui voulaient prendre une chaise devant la porte au bloc pour continuer de bavarder (et rire) avec moi, et les rigolos qui m’ont fabriqué cette belle botte en résine en m’évoquant avec délectation des orteils noirs ou violets gangrenés !

[1Star Wars

[2La Vie est un Long Fleuve Tranquille

Bookmark and Share flux RSS


form pet message commentaire
Qui êtes-vous ?