PARIS

Le passé d’un palace

5 septembre 2014

Bizarre soirée au nouveau palace Peninsula. Bizarre nouveau palace avec une bizarre histoire...

Hainan Airlines, première compagnie d’aviation privée chinoise annonçait l’ouverture de sa ligne Paris-Xi’an-Hangzhou. Paris, on connait, X’ian, c’est l’armée de terre cuite de l’empereur Qin, rien que 6000 soldats dans la première fosse et Hangzhou, la capitale du Zhejiang. Cela n’intéressait que peu les invités malgré la présence de deux statues de soldats dans le grand salon un peu triste avec ses murs beige et ses tentures chinées sable.

Diner moderniste

En revanche l’histoire de cet hôtel est passionnante : le 18 mai 1922, un diner organisé par le couple de mondains mécènes, Sidney et Violet Schiff, réunit Proust, Joyce, Picasso, Stravinsky et Diaghilev au Majestic comme s’appelait alors l’hôtel. Proust et Joyce en sont d’autant plus les stars qu’ils détestent les mondanités. Joyce finit par arriver, déjà bien imbibé mais Proust ne fait son entrée qu’à 2 h 30 du matin, impeccable avec ses gants d’agneau et son costume sombre. Sa présence même relève de l’exploit car il vit en reclus depuis quelques années et sa santé est précaire.
Proust qui n’a plus que six mois à vivre, se régale de caviar, asperges, bœuf en gelée, gâteau aux amandes, café et glace à la pistache, un menu venu tout droit des pages de La Recherche. Joyce résume leur conversation ainsi : Proust m’a demandé si je connaissais le duc de Bidule-Machin. J’ai dit "non". Notre hôtesse lui a demandé s’il avait lu telle ou telle partie de Ulysses. Proust a dit "non". Et ainsi de suite"… La fin de la soirée est glaciale, Joyce s’impose dans le taxi de Proust, allume une cigarette devant le célèbre asthmatique qui le fait déposer chez lui.

Un Américain à Paris

En 1928, c’est au Majestic aussi que s’installent George et Ira Gershwin et leurs femmes et que George y finit la musique d’Un Américain à Paris. La symphonie de klaxons vient de la découverte des boutiques d’accessoires auto, avenue de la Grande-Armée. Sa suite à l’hôtel devient rapidement une salle de concert privé où il joue pour ses amis Darius Milhaud, Francis Poulenc, Georges Auric, Serge Prokoviev, Leopold Strokowski, William Walton !
Moins charmant, pendant l’Occupation, le Majestic abrite le siège du haut commandement militaire allemand en France, Militärbefehlshaber in Frankreich (MBF), avant de devenir l’UNESCO puis une annexe du ministère des Affaires Etrangères.

Accords et désaccords

C’est dans ce centre de conférence internationales que se prépara la paix au Viet Nam entre Le Duc Tho pour la République Démocratique du Viêt Nam, Mme Nguyên Thi Binh pour le FNL et Henry Kissinger pour les États-Unis. On se souvient du temps infini pour trouver un accord sur la forme de la table des négociations et du sourire de la légendaire Mme Binh. Aujourd’hui c’est une alliance de financiers qatari avec un groupe de Hong Kong qui a permis de redonner à l’ancien Majestic son statut d’hôtel, de palace même : quatre ans et 430 millions d’euros de travaux, 200 chambres dont 34 suites. La nuit est autour de 1000 € et une suite peut atteindre 25000 € avec vitres pare-balles !

L’Asie débarque

L’Asie est bien là avec ses deux énormes lions de pierre de part et d’autre de l’entrée, une bizarre verrière au look "mobilier urbain" gigantesque, très Forum des Halles, sans parler d’un goût prononcé pour les lustres spectaculaires. Dans le lobby, une envolée d’une tonne de 800 feuilles de platane, soufflées à la main, très réussie. Dans la salle-à-manger, une pyramide de trois anneaux scintillants de cristal, pas Swarovski sans doute mais définitivement Barbie-toi-ma-star. Plus loin du faux vénitien, du faux bohème, avec plus de pampilles, plus grosses, plus riches... Même les vases d’inspiration Art Déco sont si énormes qu’ils avalent les bouquets de roses que l’on y met, avec une échelle de pompiers sans doute.

Bon, nous n’avons pas tout vu : "I’ll return" comme disait McArthur !

19 avenue Kléber. Paris XVIe.

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