75 Livraison à domicile

8 août 2011

Finalement, il ne laissa pas son amaryllis pour une pauvre clocharde que tant de beauté aurait émerveillé, il l’emporta dans son studio où il se mit en devoir de réfléchir posément à la situation. D’abord, le meurtre : il n’en pouvait plus. Balinaud avait ajouté une touche dans l’horreur générale. Ce type le révulsait et même s’il n’était en rien responsable de cette histoire de ligature de trompes, cela allait bien avec le reste de son abjecte personnalité. Lannois était un vieux dégueulasse sans moralité. Saunders avait fait fortune dans les multiples scandales de la IVe République. Rien ne menait nulle part. Même les cassettes, même le presbytère et son salon secret au milieu des pommiers.


Beaudoin se demanda brutalement si l’on couperait les arbres comme l’avait commandé Lucile, si le village devrait se passer désormais du cidre du curé ou s’il continuerait comme avant, effaçant tout passage des Lannois et de leurs fantasmes. Il se demanda si l’on ôterait les caméras de surveillance, les clôtures électriques et si la grille d’entrée resterait ouverte à nouveau. Il n’avait pas supporté l’irruption de la brutalité dans cette campagne charmante, si française avec ses vallons, ses forêts et ses maisons couvertes de tuiles plates brunies par les intempéries. Il imagina un instant la stupeur des enfants Lannois quand ils découvriraient le nid d’amour de leur papa et se dit que ce métier n’était pas pour lui. Il ne savait comment l’exprimer exactement mais être, même indirectement, acteur de cette violence le touchait au plus profond de lui même. Il se faisait une idée presque enfantine du métier de policier et maintenant qu’il était confronté à sa réalité quotidienne, il n’avait qu’une envie, celle de retourner à ses études de droit. Apparemment, il était victime des deux écueils classiques selon Vogel : l’horreur devant le premier cadavre et la fascination amoureuse pour un témoin. Il valait mieux changer d’activité avant de sombrer totalement.
Il se fit un punch très serré avec quatre aspirines et s’endormit en surveillant son oignon d’amaryllis, caressant l’idée de l’apporter à Alex.
Il ne se réveilla que vers 10h le lendemain, un peu pâteux mais nettement plus optimiste. Il téléphona au bureau, Vogel lui répondit qu’il attendait de savoir qui pourrait les renseigner sur le passé de Balinaud car le dossier qu’il avait reçu n’était pas concluant.
“Rappelle-moi en début d’après-midi et soigne ta gueule de bois.”
Soulagé, il se prépara, mit son pot d’amaryllis dans un sac en plastique et partit sous la pluie fine. Quand il sortit du métro à Notre-Dame-des-Champs, il commença à se sentir mal. Avait-elle un gardienne ? Sinon était-elle là et qu’allait-elle dire ? Sous le porche, il trouva une femme souriante qui passait le sol au jet mais refusa net de prendre le pot :
“Vous croyez que je n’ai que ça à monter, moi ? Je suis trop vieille pour tous ces étages. Elle n’est pas sortie, vous n’avez qu’à y aller vous même. Je suis sûre qu’elle sera ravie d’avoir son pot de fleurs.”

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