TEMOIGNAGES

Lost in Saint-Malo

28 juin 2011

Nouvel épisode de notre rubrique "La SNCF que j’aime"...

Dimanche 19h11, départ du TGV Saint-Malo-Paris : c’est important que le TGV aille jusqu’à Saint-Malo, tous les Malouins vous le disent, cela change la vie et le prix du mètre carré. Trois quarts d’heure plus tard, alors que Rennes n’est plus qu’à un jet de pierre, on s’arrête en gare de Montreuil-sur-Ille : un message laconique parle d’un accident sur la voie. Comme nous n’avons rien de mieux à faire, nous nous dirigeons vers le bar. En passant à la hauteur du contrôleur, on entend « quoi ! Deux heures minimum ! ». Toute oreille déployée, on traîne pour en savoir plus et nous apprenons qu’une voiture a été prise entre deux TER et que le temps que la voie soit dégagée… nous avons le temps de grignoter une des spécialités culinaires de la maison. Le conducteur ? No news.

Gastronomie TGV

La queue devant le comptoir atteint déjà le bout du wagon. L’employé, submergé par ses responsabilités, fait de savants calculs « pour qu’il y en ait pour tout le monde. » On sent le rationnement se profiler. Une chose est sûre, à 20h, il ne reste que des croque-monsieur mous, des Kinder Bueno, des chips et un Paris-Match. Nous n’avons gagné qu’une place. Une minuscule Anouk de 19 mois s’impatiente et pour la rafraichir -il fait 30° dehors et, lorsque le train ne roule pas, la clim s’arrête aussi-, on ouvre deux frigos, vides hélas, de part et d’autre du couloir. A 21h, huit personnes ont été servies, deux par 15mn, on s’approche des performances d’un bulot. A peu près à ce moment-là, on nous annonce qu’il va falloir retourner à Saint-Malo parce que vous comprenez « une voiture s’est jetée de Ponchaillou –du pont Chaillou ? Du pont de Ponchaillou ? - sur la voie » Un suicide, oui ! Et le feu a pris ! Aux traverses ? Aux rails ? « On ne sait même pas si ce sera dégagé demain. »

C’est loin Rennes ?

Désespérés à l’idée de ne pas revoir la tour Montparnasse de sitôt, on se précipite sur les croque-monsieur tout juste décongelés, à la consistance de vieille éponge gluante. Ce qui tombe bien puisque il n’y a plus ni fourchette ni couteau.
A 22h, rien de nouveau. Certains petits futés ont pris la fuite en taxi pour rejoindre Rennes. Des Rennais sans doute. En fait, on aurait presque pu y aller à pied mais la plupart des voyageurs sont aussi perdus que si on les avait débarqués sur Pitcairn : Rennes reste le grand rêve inaccessible de ce TGV échoué dans l’ouest mystérieux. Le contrôleur a engagé des bonnes volontés pour noter les noms de ceux qui auront besoin d’un hébergement. Cela rappelle les "chouchoux" qui essuyaient les tableaux noirs à la place des profs. Tout ça pour avoir une plus belle chambre d’hôtel. Il faudra plus d’une heure et demi pour que cette manœuvre incroyablement téméraire qui consiste à revenir sur nos pas soit possible. Pour remonter jusqu’aux gares centrales de Saint-Malo, de Rennes, de Paris, jusqu’à Guillaume Pépy même, pour avoir l’autorisation de quitter Montreuil-sur-Ille dont nous ne connaîtrons que les quais déserts au crépuscule.

Lost in Saint-Malo

A 23h, nous voici de retour à Saint-Malo. La gare est vide. Il ne reste qu’un courageux petit employé qui transpire à grosses gouttes. Il doit faire toujours 28°. Il va finir son dimanche et commencer son lundi en remplissant des tickets d’hébergement à la main et en appelant tous les hôtels de la région d’un antique téléphone à cadran rond : « j’ai besoin de 90 hébergements ». Nous refaisons une nouvelle queue : deux Japonaises « lost in translation » jurent que plus jamais elles ne prendront le train en France. Hier, elles n’ont pu quitter Fougères parce que je-ne-sais-quoi et avant-hier c’était encore autre chose. Le conducteur du TGV perdu n’a nulle part où dormir et doit repartir demain à 6h. Un vieux monsieur qui n’a sans doute rien eu à manger depuis son déjeuner se sent mal, heureusement les pompiers sont là. A 23h 30, on voit apparaître un paquet de Petit Lu et des bouteilles d’eau. A minuit, nous sommes à l’hôtel des Voyageurs.

Il semblerait que les voyageurs des deux TER aient été emmenés à Rennes par car. Pourquoi pas ceux du TGV ? Cela n’aurait-il pas été plus simple de permettre à tout le monde de rejoindre Paris le soir même, plutôt que de s’engager dans cette transhumance épuisante et onéreuse ?

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