44 Une panoplie de princesse

8 mai 2011

“Cela n’a pas dû être tous les jours facile de croiser la maitresse de Papa. De la fréquenter même. Surtout que ce n’était pas une maitresse discrète, elle avait une vraie panoplie de mère maquerelle : les fourrures, les bijoux, les parfums. Elle cliquetait...”
“Vous êtes injuste : on m’a dit qu’elle avait été élevée...”
“Dans le salon des Greffuhle ! Je connais cette histoire aussi.”
“Votre amie Laetitia a fait des allusions peu charitables sur les origines de Mme Delarue en un, deux ou trois mots.”

Alex ne put retenir un rire. Elle imaginait l’air dégoûté de Laetitia, fille d’officier de cavalerie, que les inventions de Lucile révulsait. Dans ces moments, Alex la trouvait pitoyable, grosse poupée qui rêvait les yeux ouverts, s’inventant au fil de son discours un passé de conte de fée. Elle cachait sous l’or et la soie une enfance plus banale que réellement sordide mais qui ne cadrait pas à l’image qu’elle s’était créée. Comme toutes les petites filles, elle aurait voulu être une princesse mais l’étonnant est qu’avec l’âge, elle n’avait pas renoncé.


Quand Alex l’avait rencontrée, elle semblait sortir d’un tableau de Winterhalter, en dame d’honneur d’Eugénie de Montijo. Elle coiffait ses cheveux en bandeaux, un chignon dans une résille sur la nuque et sa croupe monumentale lui faisait une crinoline naturelle. Elle cultivait un teint de porcelaine, déclarant qu’une vraie femme ne bronze pas et parlait d’une voix flûtée. En représentation permanente, elle ne s’autorisait à manger qu’au prix de savants efforts pour ne jamais démaquiller sa bouche.
“Lucile avait une mythomanie très éprouvante. Avec elle, la vérité évoluait avec son inspiration mais elle retombait toujours sur ses pieds. En fait, il était impossible de parler sérieusement et c’est pour ça que notre dernière discussion a échoué. Elle délirait littéralement, mélangeant le vrai et le faux, le probable avec l’affabulation la plus extravagante. J’ai craqué !”
“Et le lendemain, vous étiez un monument de sérénité...”

Elle le regarda, une lueur amusée au fond des yeux. Il était gentil mais ne perdait pas de vue qu’elle n’était pas là par hasard. Elle sourit et continua sans se troubler :
“Pour ce qui est des Greffuhle, je crois qu’il serait plus exact de parler d’une mère marchande de frivolités à Libourne. Une mercerie de sous-préfecture où elle a appris de bonnes manières un peu compassées. Elle jouait à la grande dame et parvenait tout juste à ressembler à la caissière du Grand Café.”
“C’est gentil, ça !”
“Elle n’était pas gentille, non plus. Dans le même souci d’honorabilité, elle racontait que son père était médecin alors que c’était un escroc minable et qu’il est mort dans des conditions douteuses à Tegucigalpa.”

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