C’est vous la dingue ?

3 mai 2011

“Vous n’avez pas obtenu ce que vous désiriez.”
Alex le regarda :
“Endosser la responsabilité de mon licenciement n’était pas compatible avec la lâcheté foncière de Lucile. Cela risque de coûter un peu cher de me mettre à la porte dans la mesure où il n’y a pas faute. Rien par rapport aux vedettes maison, mais un peu cher car je travaille ici depuis plus de dix ans.”
Il hésita en regardant le profil penché vers l’eau dormante. Elle ne dirait rien de plus sur le sujet et pourtant une autre question lui brûlait les lèvres.
“J’ai interrogé Marie Bouillot”, se lança-t-il.
Elle réprima un rire bref.
“Une vraie partie de plaisir, j’imagine”.
“Elle m’a parlé de vos... problèmes,” hésita-t-il.
“Mes problèmes ? Les papiers qu’elle me piquait avec l’accord de Lucile ?” ironisa-t-elle.
“Non. Vos problèmes de santé”, dit-il en se sentant rougir..
“De santé ! De la part d’une amie de Lucile, la malade imaginaire du journal, cela ne manque pas de piquant.”
“Il parait que vous avez eu de graves problèmes psychologiques”, poursuivit-il horriblement gêné et les lobes d’oreille en feu.
Elle le fixa les yeux écarquillés, puis secoua la tête avec incrédulité.
“Mais je rêve ! Nous sommes en plein délire. Vous voulez savoir si je suis folle moi aussi, c’est ça ? J’aurais explosé le crâne de Lucile en pleine crise de démence et puis j’aurais bourré la tisane du bavotant de mort-au-rat...Et c’est moi aussi la mystérieuse inconnue qui le fouette en cuissardes et talons aiguille. D’ailleurs je l’oblige à laper dans le bol de Schéhérazade en baby-doll de nylon jaune poussin. ”

Elle s’arrêta pour reprendre son souffle et lâcha sur un ton glacial, en détachant bien chaque syllabe :
“Excusez-moi, inspecteur, mais vous êtes un rude connard.”
Elle tourna les talons. Les passants prirent ce départ foudroyant pour une dispute d’amoureux comme la fontaine Médicis en connait beaucoup, surtout quand Beaudoin la rattrapa par le bras.
“Ecoutez !”
“Foutez-moi la paix !” cria-t-elle pour qu’il ait peur du scandale.
“Je vous présente mes excuses.”
“Si vous ne me lâchez pas à la seconde, je me roule par terre et hurle que vous m’avez agressée.”
“D’accord”.
Elle ne se calmerait qu’après une reddition totale, c’était net et Beaudoin opta pour l’humilité la plus absolue. Elle finit par se détendre et demanda :
“Que vous a-t-elle raconté, Sœur Marie des Bouillottes ?”
Soulagé de l’entendre plaisanter, il risqua :
“Ecoutez, je ne tiens pas à vous revoir filer vers la sortie du jardin...”
“Citez-la et je resterai tranquille.”
“Elle a parlé de folie, d’internement, que Lucile avait peur...”
Alex poussa un soupir qui pouvait passer pour un rire triste.
“Laquelle est la plus malfaisante à votre avis ? Vous comprenez maintenant pourquoi je veux partir ? Il y a huit ans à peu près, j’ai fait une dépression nerveuse. Voilà pour la folie. Puis j’ai passé quinze jours de mon propre gré dans une clinique psychiatrique. Voilà pour l’internement. Quant à la peur de Lucile, je ne vois pas très bien. Je ne me souviens pas de l’avoir mordue.”
Elle reprit son souffle et lui jeta un regard malicieux :
“Elle était trop chargée en lipides pour mon régime. Surtout côté jambon.”
Il se mit à rire et se vit pardonné dans l’instant.

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