24 Délit de belle gueule

20 mars 2011

Beaudoin était assis face à Vogel, de l’autre côté du bureau. Il tentait de restituer aussi fidèlement que possible ce que lui avait raconté Alex à son patron.

“Une chose est claire : il y a des ripoux dans la presse” conclut-il, “et on dirait aussi que c’est presque officiel, du moins en ce qui concernait Lucile.”
“A combien cela peut se monter ce genre de petits profits parallèles ?”
“Aucune idée. Cela dépend du genre de boutiques qu’elle rançonnait... Un joaillier ou un marchand de fromages.”
“Et la belle madame Lombard ne t’a donné aucune explication à l’extraordinaire longévité de Madame Delarue-Lannois dans le groupe ?”
Beaudoin se remémora la fin du déjeuner et l’impression curieuse qu’il avait eu qu’elle baissait le store.
“La guinguette a fermé ses volets si tu vois ce que je veux dire. Elle est passé sans transition d’une limpidité de cristal à une opacité sans faille. Je ne sais plus ce que j’ai dit et brutalement, j’ai eu un mur en béton devant moi.”
Vogel eut un petit rire sardonique.
“Madame n’aime pas qu’on la bouscule ?”
“Madame n’a peut-être aucune raison de se laisser bousculer.”

Vogel ne résista pas à l’envie de titiller son adjoint, toujours prompt à se moquer de lui et de son provincialisme.
“Toujours convaincu de son innocence ? Elle aurait très bien pu se rendre à pied chez Lucile pendant que ses enfants étaient à la piscine.”
Beaudoin haussa les épaules
“Tu y crois, toi ? En dehors du fait qu’elle t’agace, qu’as-tu à lui reprocher ?”
“Rien, tu as sans doute raison mais elle pourrait au moins avoir l’air inquiète : nous savons qu’elle avait eu une discussion violente avec Lucile qui a refusé de la licencier ce qui la mettait dans une très mauvaise situation. Nous savons également qu’elle avait le temps d’aller chez Lucile ce soir-là : son mari était en voyage et ses enfants à la piscine. Elle connait l’arme du crime... Et elle s’en fout. Elle te distille des informations à son rythme et tu dis merci.”
“Je ne dis pas merci. Je dis qu’elle est libre de nous aider ou non. Je ne sais pas si ces histoires de racket de luxe ont une importance quelconque dans l’assassinat lui-même mais cela aide à cerner la personnalité de la victime. Apparemment, Alex Lombard sait beaucoup de choses et, si on ne la brusque pas, elle nous en fera part, à la différence des autres qui sont tétanisées de peur.”
Vogel réfléchit un moment et demanda :
“Mais pourquoi n’a-t-elle pas peur ?”
“Question de nature mais je pense aussi que son statut de pigiste lui laisse une plus grande marge d’action. Sur le fond, elle s’en fout de Lucile et du magazine. Sa vie n’est pas là.”
“Et elle est où sa vie ?”
“Aucune idée. Avec sa famille sans doute.”
Vogel prit une feuille dans une chemise cartonnée.
“Tu as interrogé toutes les pigistes ? Les autres ont peut-être aussi quelque chose à dire.”
“Il m’en reste deux ou trois dont Marie Bouillot et une petite Laetitia de Quelquechose.”
“Vas-y, moi pendant ce temps, je dois voir la fille de Lannois. Elle est arrivée de La Roche-sur-Yon ce matin et vient ici à 16h.”

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