12 Lacroix et Dries Van Notten

21 février 2011

De retour au bureau, il fit venir Beaudoin.
"Alex Lombard, c’est bien cette journaliste qui t’a laissé tomber ce matin ?"
"Platement."
"Il parait qu’elle venait de s’engueuler avec Delarue. Je veux la voir demain. Retourne au journal. Interroge qui tu peux, l’assistante par exemple et demande les téléphones de toutes les pigistes."

Beaudoin sourit en remarquant que son patron s’était déjà mis au jargon de la presse. Il était sûr que, la veille encore, il ne savait pas ce qu’était un ou une “pigiste” mais l’immersion brutale dans le groupe Saunders commençait à faire son effet. Cette enquête allait parisianiser Vogel comme aucune autre auparavant.

Au journal, Jeanne Riguidel l’attendait, toujours surexcitée. Beaudoin se demanda s’il lui arrivait de se calmer. Elle le mena à une petite pièce surchauffée où l’on rangeait les vêtements et les objets à photographier.
“Vous pouvez vous servir du shopping pour vos interrogatoires. Ce n’est pas bien confortable mais nous souffrons d’une pénurie de place chronique. Et puis vous êtes en bonne compagnie : ici il y a du Bazar de Lacroix, là du Dries Van Notten, plus quelques accessoires Saint-Laurent. Cela doit vous changer !”

Elle éclata d’un rire aigrelet dans lequel il reconnut le désir forcené de plaire pour éviter les ennuis en puissance que représente la police. Il ne parvenait à s’y faire : il n’avait pas trente ans et ne comprenait pas comment il pouvait mettre dans un tel état une dame de cet âge qui n’avait sans doute rien à se reprocher de plus grave qu’un peu de resquille dans le bus. Il sourit donc gentiment pour essayer l’apaiser et demanda à parler à Ginette Brons “si cela ne dérangeait pas trop”. Jeanne fit un petit bruit qui exprimait le peu d’estime qu’elle avait pour l’assistante et son travail.

Lorsque Ginette pénétra dans le shopping, elle tremblait encore plus que le matin et Beaudoin eut peur qu’elle ne fonde en larmes.
“Je suis désolé de vous interrompre dans votre relecture...”
“Mais ce n’est rien, Monsieur l’inspecteur, c’est normal. Si je peux vous aider...”
Tant de servilité affolée le peina pour cette femme qui hésitait entre vieillesse et séduction. Très soignée, la teinture blonde sans racines foncées, les ongles laqués carmin impeccables, elle aurait pu être attrayante si elle n’avait eu ces tics de petite vieille. Ses mains furetaient sans arrêt à la recherche d’on-ne-sait-quoi -Beaudoin soupçonna qu’il s’agissait de cigarettes- et ses yeux clignaient d’un air effaré sous la lumière des spots.
“Depuis combien de temps travailliez-vous avec Lucile Delarue ?”
“Bientôt onze ans. Je suis arrivée en février 84.”
“De quoi étiez-vous chargée à la rubrique ?”
“Je m’occupais de la coordination. Je louais les studios pour les photos. Je surveillais que tous les textes et toutes les photos soient prêts à la date prévue.”
“Vous écriviez ?”
“Oui, bien sûr. Enfin, de moins en moins. Au début, si parce que je travaillais à la pige mais depuis que je suis intégrée, c’est différent.”
“Comment vous entendiez-vous avec Lucile Delarue ?”
“Très bien ! Enfin aussi bien que l’on pouvait s’entendre avec elle. Pour être franche, sa mort est horrible mais personne ne va la regretter.”

Bookmark and Share


form pet message commentaire
Qui êtes-vous ?