11 Le "Hameau" de Lucile

18 février 2011

“ Vous alliez souvent dans cette maison de campagne ?”

“Presque tous les week-ends. Lucile s’y amusait comme une folle. Elle faisait faire des travaux pour rendre la maison confortable. Elle a commencé par installer des salles de bain, mettre des rideaux, de la moquette. Et puis elle s’est mise aussi au jardin. Elle voulait tout surveiller, l’arrachage des pommiers, la mise en place des parterres de lys, la serre pour orchidées...”
Vogel ne chercha pas à calculer le coût de ces amusements très Marie-Antoinette aux champs, mais devina que cela ne plaisait peut-être pas tellement aux enfants de voir l’argent filer en plates-bandes et en espaliers.
“Lui connaissiez-vous des ennemis ?”
“Sa réussite suscitait des jalousies, c’est certain.”
“Et au journal ?”
“Ce n’est pas un milieu tendre.”
“Au point de tuer ?”
Il haussa les épaules, hésitant à donner trop de détails sur les sentiments plus que mitigés que suscitait sa femme.
“Elle avait des problèmes avec son équipe mais je n’imagine pas une journaliste...”
“Vous pensez à quelqu’un de précis ?”
“Alex Lombard la mettait dans des états proches de l’hystérie. C’est une pigiste. Je pense que Lucile en était très jalouse.”

Vogel surprit une lueur gourmande sous les paupières gonflées .Quelque chose de furtif et amusé.
“Elle vous plait ?”
Il ne se donna même pas la peine de prendre l’air choqué.
“Elle plait à tout le monde. Elle est très différente des autres. Lucile et elle avaient des discussions très violentes.”
“Elles en avaient eu récemment ?”
“Oui. D’après ce que Lucile m’a dit, mais c’était très confus, Sophie était furieuse de ne pas avoir assez de papiers. Lucile était comme folle et répétait “je l’ai matée, je l’ai matée”.”
“Et c’était vrai ?”
“Je n’en sais rien. Apparemment, le calme était revenu.”
“Il y avait des problèmes avec les autres ?”
“Oui, avec presque toutes, mais pas comme ça. Pour une raison que j’ignore, Alex avait le don de mettre ma femme hors d’elle. Et réciproquement sans doute. Lucile était persuadée que Alex convoitait sa place mais qu’elle ne l’aurait jamais, qu’elle dépendrait toujours d’elle pour manger.”
“A ce point là ! Et c’était vrai ?”
“Je ne crois pas. Alex n’est pas à la rue : elle est mariée et son statut de pigiste lui permet tout à fait de travailler pour d’autres supports.”
“Elle le faisait ?”
“Je n’en sais rien. Vous n’avez qu’à le lui demander", répliqua-t-il séchement. "Vous savez, je n’avais rien à faire à cet étage. Je me rendais régulièrement au 6ème, voir Saunders, le grand patron, mais je ne connaissais que mal l’équipe de ma femme.”

Assez pour repérer les jolies filles, eut envie de répondre Vogel mais il resta muet, se demandant si Lannois avait fait exprès ou non de l’orienter sur Alex Lombard. Maintenant, il ne voulait plus répondre aux questions. C’était un vieux monsieur fatigué et il était préférable de ne pas l’épuiser s’il ne voulait pas avoir toute la presse sur le dos.
Il demanda encore :
“Où étiez-vous hier entre 17h et 19h ?”
“Ici.”
“Seul ?”
“Avec Schéhérazade. Le chat.”
“Vous avez reçu des coups de téléphone ?”
“Non. Je relisais un manuscrit et j’avais branché le répondeur pour ne pas être dérangé. Ensuite j’ai passé mon habit vert et je suis parti chercher Lucile.”

La conversation avait l’air close pour lui et Vogel prit congé.